Chapitre 33

 

Nous n’avions pas roulé sur un kilomètre que nous entendîmes les sirènes approcher. Jetant un coup d’œil par-dessus mon épaule, je vis la lueur orange qui embrasait le ciel de la nuit. Quelqu’un d’autre avait dû la voir et appeler la police. D’après ce que nous savions, les démons de Dougal étaient toujours là-bas, près du bûcher. Ils allaient certainement passer un bon moment à expliquer leur présence aux policiers.

Je fermai les yeux et appuyai ma joue contre la vitre. Maintenant que la crise était passée, je prenais conscience de la migraine et de la nausée spécifiques aux changements de contrôle trop fréquents. Je déglutis en espérant que je n’aurais pas besoin de demander à Andy de s’arrêter sur le bas-côté avant que nous soyons chez moi.

Je parvins à tenir tout le trajet sans vomir, ce qui était appréciable. Je me sentais toujours très mal – malade, triste et totalement vidée. J’essayais de m’accrocher à la miette d’espoir que Raphael était en vie et indemne au Royaume des démons, mais je n’ai jamais été une optimiste. D’après le silence pesant de Lugh, il ne devait pas en être un non plus.

Adam, Dom et Saul arrivèrent juste après Andy et moi, et nous prîmes ensemble l’ascenseur jusqu’à mon appartement dans un silence oppressant. Une fois chez moi, Adam libéra Barbie et Brian de leurs menottes – il s’avère que la plupart des menottes s’ouvrent avec la même clé – et il leur expliqua ce qui s’était passé à la ferme de la voix la plus détachée qu’il put. Je ne pense pas que la mort éventuelle de Raphael le touchait beaucoup. Mais comme moi, et comme Saul, Adam se souciait vraiment de Lugh et il détestait qu’il souffre.

Je laissai mes réflexes reprendre le dessus et je préparai du café en m’efforçant de ne pas penser. Tout le monde en prit une tasse. Puis nous nous rassemblâmes dans le salon comme d’habitude. Adam apporta une chaise en plus. Je ne pensai pas qu’il s’agissait d’une erreur. Une fois installés, nous regardâmes tous cette chaise vide.

Andy brisa le silence.

— Je veux l’invoquer.

Nous nous tournâmes tous vers Andy. J’ouvris la bouche sans avoir aucune idée de ce que j’allais dire, puis je la refermai.

— Je vous demanderais juste de trouver un hôte pour lui quand il sera revenu, mais je vais l’appeler et l’héberger le temps que vous trouviez un volontaire.

— Andy…, commençai-je avant qu’il me coupe la parole.

— Aucun d’entre nous ne sera en paix tant que nous ne saurons pas si Raphael est en vie ou non. Je peux l’héberger pendant un temps. (Il parvint à sourire faiblement.) Ce ne sera pas la première fois.

Tous les regards se tournèrent vers moi. Qu’attendaient-ils au juste ? Ma permission ? Ou bien de savoir ce que j’en pensais ? Ou bien encore que Lugh s’exprime. Être au centre de l’attention me mettait vraiment mal à l’aise.

Lugh ne me parla pas, mais il n’en avait pas besoin. Je savais combien il souhaitait accepter la proposition d’Andy. Franchement, je ne pouvais pas lui en vouloir. Si j’avais été à sa place, à me demander si mon frère était vivant ou mort, j’aurais probablement désiré la même chose pour connaître la vérité.

— Tu es sûr, Andy ? demandai-je d’une voix étranglée par l’émotion.

— Je suis sûr, dit-il en hochant la tête. Vous serez capable de trouver un autre hôte, même si cela prend un peu de temps. Et si vous vous inquiétez pour le bien-être de cet hôte, dites à Raphael que nous le transférerons en moi de temps en temps, pour nous assurer qu’il se comporte bien. Ça va aller. Mais faisons-le maintenant et mettons un terme à cette attente.

 

Je n’avais pas assez de bougies pour que tous les membres du Conseil de Lugh rejoignent le cercle. Deux personnes durent rester en dehors. Je ne fus pas du tout surprise que Saul se désiste, emmenant Barbie avec lui. Même s’il ne s’y était pas opposé, on lisait sur son visage combien il détestait l’idée de rappeler Raphael sur la Plaine des mortels. Il s’était toujours comporté de façon si impétueuse que je m’étais attendue qu’il fasse des histoires, même s’il savait à quel point l’incertitude pouvait être douloureuse pour Lugh. Il n’était néanmoins pas aussi égoïste que je l’avais cru.

Nous dégageâmes un large espace au centre du salon et Andy s’allongea sur le dos. Saul et Barbie nous observaient depuis l’extérieur du cercle. J’allumai la première bougie puis l’utilisai pour embraser celle de Brian. L’une après l’autre, les bougies furent allumées jusqu’à ce que le cercle soit prêt. L’atmosphère était tendue et nous peinions tous à respirer.

— Si l’invocation fonctionne, dis-je à Lugh, je veux que tu reprennes le contrôle.

Je pus presque sentir sa surprise.

— Cela fera la troisième fois en trois jours. Tu vas être malade.

Il avait raison. J’étais partie pour trois journées de souffrance. Mais si Raphael était en effet en vie, comment pouvais-je refuser à Lugh qu’il parle au frère qu’il avait failli perdre ?

— Je pourrai le supporter si tu en es capable aussi, répondis-je.

Puisqu’il ressentait les symptômes physiques en même temps que moi, il savait exactement ce qu’il allait devoir endurer. Je ne fus pas surprise qu’il accepte.

— Merci, dit-il quand Andy commença à réciter l’incantation.

Andy s’exprimait lentement et clairement, totalement concentré sur les mots qu’il prononçait. Il ne nous ferait pas subir le supplice de l’écouter ânonner et bégayer avant de recommencer un million de fois comme Jonathan.

Quand il eut fini de répéter trois fois l’incantation, je serrais ma bougie si fort que ce fut un miracle qu’elle ne se brise pas en deux et rompe le cercle.

Les dernières syllabes du Nom véritable de Raphael quittèrent les lèvres d’Andy et je retins mon souffle. Pendant un temps interminable, Andy resta allongé à cligner des yeux, sans bouger, ne nous donnant aucun indice sur l’identité de celui qui contrôlait son corps.

Puis un sourire fendit son visage.

— Bordel de Dieu ! s’exclama-t-il en s’asseyant. Ça a marché !

Il jeta un rapide coup d’œil autour du cercle – comptant les têtes, je pense, pour s’assurer que tout le monde avait survécu –, puis ses yeux se posèrent sur moi.

En fait sur Lugh, qui avait pris le contrôle de mon corps sans l’ombre d’une hésitation. Il se leva, les poings serrés, les mâchoires si tendues que j’eus peur qu’il me brise les dents. J’aurais parié mon dernier dollar que son regard s’était embrasé.

Raphael se mit debout et leva les deux mains soit dans un geste qui se voulait apaisant, soit pour retenir Lugh.

— Je sais que tu as probablement envie de me mettre une raclée mais crois-moi, l’épreuve du feu est assez douloureuse comme ça. Je n’ai pas besoin d’une punition supplémentaire.

Brian s’éclaircit bruyamment la voix.

— Je crois que j’ai des trucs à faire chez moi, dit-il avant de souffler sa bougie et de se lever.

Il regarda les autres membres du Conseil juste au cas où ils n’auraient pas saisi.

L’un après l’autre, ils soufflèrent leur bougie et se levèrent. Quelqu’un alluma la lampe près du canapé. Lugh ne bougeait pas, toujours tendu. Je ne pouvais pas littéralement ressentir ce qu’il éprouvait, mais je comprenais.

Raphael garda un œil prudent sur son frère pendant que les autres membres du Conseil s’en allaient. Brian s’arrêta un moment sur le seuil.

— Si Morgane a besoin d’aide quand elle reprendra le contrôle, appelle-moi, dit-il sans attendre que Lugh accuse réception de ses paroles.

Puis il ne resta plus que Lugh, Raphael et moi. Je regrettai de ne pouvoir faire comme les autres et m’en aller en laissant un peu d’intimité aux deux frères, mais je n’avais pas le choix.

— Tu ne peux avoir d’intimité avec moi, dit Lugh. Il me semble juste que l’inverse soit vrai également. Je ne sais si je dois te prendre dans mes bras ou t’étrangler, dit-il ensuite à voix haute.

Raphael redressa un peu le menton.

— J’aurais espéré que tu m’exprimes de la gratitude pendant une ou deux secondes avant de péter les plombs.

Si j’avais contrôlé ma bouche, j’aurais éclaté de rire. C’était étrangement bon de constater que certaines choses chez Raphael n’avaient pas changé. Lugh n’était pas aussi amusé que moi.

— Je t’ai vu mourir, dit-il d’une voix râpeuse et je sentis les larmes brûler mes yeux. Est-ce que tu as une idée… ?

Sa voix mourut sur ces paroles et il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, l’expression de Raphael s’était radoucie.

— Je suis désolé de t’avoir fait vivre ça, mon frère, déclara-t-il et j’étais certaine qu’il le pensait. Peut-être que je suis le pire des lâches. Peut-être que je n’aurais pas pu supporter de te regarder brûler.

Il baissa les yeux et j’eus le sentiment de voir le vrai Raphael pour la première fois, défait de tous ses masques et de ses défenses.

— Tu es tout ce que j’ai toujours désiré être. Je ne pouvais te laisser risquer ta vie. Pas alors que je pouvais risquer la mienne à ta place.

Lugh parcourut la distance qui les séparait, prit son frère par les épaules et le secoua à lui en faire claquer les dents.

— Tu ne risquais pas seulement ta vie ! cria-t-il au visage de Raphael.

Comment y parvint-il alors qu’il se trouvait dans mon corps et que le corps emprunté de Raphael mesurait au moins cinq centimètres de plus que le mien ?

— Tu t’es suicidé, bon sang ! Je me fiche de ce qu’a dit Andrew, tu ne pouvais pas prévoir que tu allais survivre !

— Non, je ne pouvais pas le prévoir, répliqua Raphael. Mais je pouvais l’espérer. (Il afficha un sourire prudent.) Et franchement comment pouvais-je penser que Saul résisterait alors qu’il avait l’occasion de me tirer dessus ?

Lugh secoua de nouveau Raphael par les épaules en poussant un cri inarticulé de rage et faillit presque le mettre à terre. Puis il attira son frère contre lui et le serra sauvagement dans ses bras.

— Ne me refais plus jamais ça ! gronda-t-il dans l’oreille de Raphael.

Celui-ci retourna l’étreinte un peu maladroitement, comme s’il n’était pas habitué à ces démonstrations d’affection.

— Ça n’est pas prévu, répondit-il en frissonnant. Crois-moi, une fois m’a amplement suffi.

L’étreinte dura bien plus longtemps que ce que la plupart des hommes auraient considéré comme acceptable, mais les deux frères finirent par se séparer. Lugh jeta un regard vers la table basse où le papier qu’avait laissé Raphael reposait encore sans avoir été ouvert, quasiment oublié.

— M’as-tu laissé ce document uniquement parce que tu croyais que tu allais mourir ou bien voulais-tu vraiment que je sois au courant ?

Raphael enfonça les mains dans ses poches, l’air embarrassé.

— Un peu des deux, je suppose, répondit-il en grimaçant. Je n’ai pas voulu penser au moment où je serais face à toi, une fois que tu l’aurais lu.

— Je ne l’ai pas encore regardé. Si tu veux le reprendre, tu peux.

Raphael soupira, les yeux rivés sur le morceau de papier.

— C’est très tentant.

Son regard devint malicieux, une expression qu’il avait souvent adoptée quand il occupait le corps d’Andy.

— On pourrait parvenir à un accord. Je te donne le document et je t’aide à réparer les dégâts. En retour, tu m’accordes la grâce royale.

Lugh émit un petit grognement avant de se pincer l’arête du nez. Il prenait un air particulièrement agacé, mais j’étais certaine qu’il était soulagé que Raphael lui fournisse un prétexte de lui accorder la grâce.

Raphael haussa les épaules et tendit la main vers le papier.

— Bon, eh bien, si tu ne veux pas de mon aide…

— Laisse-le, soupira Lugh. Tu as mon pardon.

Raphael laissa retomber le document sur la table basse.

— Rappelle-toi que tu m’as déjà pardonné, quand tu liras ça.

Lugh secoua la tête en résistant à l’envie d’ajouter un commentaire.

— Je vais rendre le contrôle à Morgane, dit-il avec un peu de réticence dans la voix. C’est la troisième fois que je prends le contrôle en trois jours. Nous allons être très malades.

Raphael acquiesça.

— Je vais appeler Brian pour lui demander de venir s’occuper de vous. Et je resterai jusqu’à son arrivée au cas où vous auriez besoin de quelque chose.

Lugh hocha la tête pour le remercier et serra une dernière fois l’épaule de son frère. Puis il eut la prévenance de conduire mon corps aux toilettes et de soulever la lunette avant de me redonner le contrôle.

Péchés Capitaux
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